"Il y a quelques années, j'ai forcé un élève à entrer dans la cathédrale de Strasbourg, lors d'une sortie scolaire. Cet élève était musulman, en voie de radicalisation, et refusait d'y entrer.
Dois-je être sanctionnée pour cela?
Il s'est passé, la semaine dernière, un événement qui échappe peut-être à ceux qui ne sont pas enseignants, mais qui pour nous, est d'une extrême gravité. Je ne vais pas résumer les faits pour la énième fois, cherchez "professeur mis à pied à Mulhouse", vous trouverez tout. Oui, ce matin encore, j'ai entendu à la radio que les enseignants protestent contre la sanction prise contre un professeur qui aurait "mené son cours de manière inadaptée". Un simple fait divers. Mais, comme toujours, ce n'est pas aussi simple.
Je reviens à ma petite histoire: il y a maintenant 6 ans, je travaillais à Mulhouse dans un établissement proche du collège Villon, en zone APV (prévention violence à l'époque). Je garde un bon souvenir de la plupart de ces élèves, ce n'était pas une zone de non-droit, ne tombons pas dans la caricature (justement). Cependant, s'y côtoyaient en grand nombre toutes sortes de nationalités, de cultures, de religions. Comme tous les professeurs qui y étaient, et qui pour certains y sont toujours, nous avions comme priorité de permettre à tous ces jeunes de vivre ensemble, de s'accepter, de comprendre les principes de la laïcité et de la république. Ce n'était pas simple tous les jours, nous n'avions pas toujours réponse à tout, mais somme toute, tout allait à peu près bien. Nous combattions l'ignorance et les préjugés avec nos armes d'enseignants: le savoir, la culture, le débat, le bon sens.
L'un de ces élèves, à l'époque, était en voie de radicalisation. Nous l'avions plusieurs fois remis en place pour des remarques faites aux filles, des allusions déplacées à sa religion... nous le suivions de près. Lors d'une sortie à Strasbourg, une visite historique et architecturale de la cathédrale était au programme. Tous les élèves sont entrés, y compris des musulmans, mais ce jeune homme a refusé d'y mettre les pieds. Il était persuadé qu'il allait se faire foudroyer par son dieu car c'était un péché d'entrer dans un lieu de culte adverse. Je suis restée seule avec lui sur le parvis, à discuter, à débattre, à argumenter. Lui prouver que cette visite n'avait rien à voir avec la religion. Lui expliquer que dans ma vie, j'ai visité des mosquées et des synagogues, dans le but de m'instruire. J'ai fini par le menacer d'un coup de pied aux fesses.
Il est entré.
Il a visité la cathédrale.
Il a survécu.
Ce jour-là, j'ai semé une toute petite graine. Une petite graine de tolérance. A-t-elle poussé, ou pas? Je n'en sais rien... sans doute que non. Mais j'ai fait mon boulot d'enseignante. Pas forcément diplomatiquement, mais je l'ai fait. Je ne veux pas de médaille, ni de bravo, ni de félicitation, cela n'avait rien de génial ou d'héroïque. C'était mon travail, point.
Nous sommes des milliers à le faire. Tous les jours.
En toute bonne foi.
Alors voilà. Depuis les attentats, le ministère nous bombarde d'outils de travail pour parler de laïcité, de démocratie, de liberté de la presse. Nous avons reçu une interview de Charb, des tas d'images satiriques sélectionnées par le ministère, avec pour consigne d'en parler autant que possible. Ce n'est pas simple dans beaucoup d'établissements. Beaucoup de collègues savaient qu'il y aurait des discussions violentes, parfois des incidents. Certains n'ont pas osé le faire. D'autres ont tenté de semer leur graine.
Le collègue a utilisé ces images. Il les a montrées, il en a parlé, il a débattu. Il a suivi les consignes, sans doute avec cette forte conviction de planter une petite graine de tolérance, d'ouverture, d'esprit critique. Tout n'a pas plu. C'est certain, pourquoi est-ce que tout devrait plaire à tout le monde? Peut-être que le collègue a fini par être maladroit, par se sentir impuissant... pourquoi pas? Il est humain. Le débat est humain, le désaccord est humain, la polémique est humaine. Seulement, ce collègue, suite au tollé de quelques familles, a été mis à pied. Pour faute grave. 4 mois. Puni pour avoir déplu à des élèves? Ce collègue n'a été entendu ni par son inspecteur, ni par le recteur. Les familles et les élèves, si. Débat?
Ce qui se passe est très grave. Veut-on nous interdire, à nous, jardiniers de l'âme, de planter des petites graines? Sous prétexte que certains n'aiment pas les brocolis, mais préfèrent les poireaux, va-t-on nous interdire de leur proposer des brocolis? Donne-t-on à présent le droit aux élèves de refuser d'analyser un document, de refuser de débattre un sujet qui ne leur convient pas? Nous refuse-t-on le droit à la maladresse, nous refuse-t-on le droit aux faiblesses humaines?
Je n'étais pas dans la salle avec ce professeur. Je ne le connais pas personnellement. Peut-être aurait-il dû être inspecté, suite à ces événements, ou convoqué en haut lieu pour se justifier. Je n'en sais rien, je n'étais pas là.
Mais quelle leçon donne-t-on ainsi à nos élèves?
Quelle graine plante-t-on dans leurs esprits?
Vendredi, je serai gréviste."
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